Jeudi 9. 9h. C’est une journée de mi-juin qui débute, ni chaude ni froide. Un soleil pâle surplombe les Allées encore silencieuses. Pour les quelques passants qui patientent, à l’ombre réconfortante des cafés voisins, la classe de lycéens en stationnement suscite l’étonnement. Certains ont revêtu un simple short de maillot, d’autres l’incontournable combo jogging-tongs. Leur allure fait sourire. Ils semblent décalés, à l’ombre des Galeries Lafayette, où l’élégance est de mise. Lorsque le petit train de Béziers s’arrête dans un klaxon sonore, un mètre devant eux, les spectateurs n’hésitent plus. Des touristes. Franciliens, peut-être ? Ils ne se doutent pas que ces trente-six élèves, amassés entre quatre professeurs, ont traversé la ville toute l’année, comme eux.
Le train longe les cafés, narquois. Dedans s’entassent des élèves, quatre ou cinq par rangées, le sourire aux lèvres. Des mains, des bras, des têtes émergent des portières, au-dessus desquelles est affichée une pancarte, ignorée avec panache : « Ne pas se pencher ». Les halles, la place Jean Jaurès, la cathédrale défilent, au rythme tranquille des wagons, découvrant une ville que tous connaissent déjà. Le train entame une descente. La légère accélération, le vent dans les cheveux, la sensation de liberté…En arrière-fond, une voix-off, à l’accent biterrois inimitable, vante les « charmantes ruelles » (insister sur chaque syllabe pour une prononciation locale).
Passage obligatoire aux écluses de Fonseranes. Ce monument emblématique de Béziers en a vu grandir plus d’un. Dès l’arrivée, une odeur indescriptible assaille les narines. On croirait presque que les égouts nous souhaitent la bienvenue. Sur les péniches, à quais ou entre deux écluses, un bric à brac de personnages se succèdent. Un homme d’une quarantaine d’années, cheveux longs et veste en cuir, look Johnny à l’appui, nous fait signe de la main. Un peu plus loin, un couple retraité, caniche au pied, observe le train passer, indifférent à nos saluts. Une péniche affiche fièrement Rotterdam, sur fond bleuté. Bien après notre passage, le canal continue de charrier ses odeurs d’eau usée.
A 10 h, retour devant le théâtre du groupe frigorifié. Un vent glacé, venu de la mer, souffle sur les mollets dénudés. Révélateur de l’après-midi sur la plage ? Nous attendons des « guides », qui vont nous mener de trompe-l’œil en trompe-l’œil, dans les dédales de Béziers. Ils n’arrivent que dix minutes plus tard. Le choc est imminent. On se croirait revenu un siècle en arrière, à l’époque des moustaches guidons. « Les amis de Saint-Aphrodise », peut-on lire sur leurs torses bombés par la fierté. Ils sont deux, chacun complétant les paroles de l’autre avec emphase. Ils nous entraînent de ruelles en places – du trompe l’œil d’un chat à celui de Camille Saint-Saëns. Chaque œuvre est l’objet d’une explication historique approfondie, leur moustache frémissante sous l’effet de si grands évènements. Les trompe-l’œil sont partout. Au sol, sur les murs, dans nos yeux surtout. Du coin d’un Carrefour, un canard peint en forme d’endive nous fixe insolemment. Trompe-l’œil ?
A midi, rendez-vous devant la médiathèque. Nous attendons un bus, qui nous mènera jusqu’à Valras, pour la suite des évènements. Quelques retardataires courent vers le car, sandwich en main. Une demi-heure plus tard, la plage est en vue. La léthargie du bus semble peu à peu reculer, sous l’impact du sable et du vent. Des sourires enfantins animent les visages. La mer ! Tous s’éparpillent sur les digues. Chips, sandwich, salades, émergent des sacs. C’est l’heure du marchandage, et il y a de vrais champions. Quelques Pringle sablés plus tard, nous voilà d’attaque. Un premier ballon vole. Il finit sa course dans l’eau. Vite, le rattraper ! Mais il est trop tard. Déjà il s’éloigne en flottant, au gré des vagues. Il en reste d’autres. Des groupes s’organisent. Volley, foot ? A voir.
Les pistolets à l’eau de mer triomphent, lancés en traître. Une passante s’interroge : « Il pleut ? ». Contre leur attaque aléatoire, le seul remède est la vengeance : les arrosages se multiplient. Nous migrons vers les terrains de volley, à une distance interminable. Une tête sur deux arbore une casquette, parfois un bob. Une fois arrivés, l’ambiance repart de plus belle. Des matchs s’engagent, certains rejoignent les balançoires étranges qui bordent l’endroit. Une enceinte passe Jul en arrière-plan. La plage.
Dans le bus qui file vers le lycée, vers nos vacances, les avis sont mitigés. Mais la même sensation ressort : c’était une journée étrange, indémodable, dans l’atmosphère décalée de celle qui se proclame plus vieille ville de France ; une journée qu’on n’oublie pas.


Lélia STIEVANO
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